DeletedUser1635
Guest
[HRP : Le texte a été anonymisé à la demande des personnes concernées.]
Le temps de l'innocence et de l'insouciance était passé. Le petit village de Galathéa était devenu une grande cité, et ses habitants une véritable nation qui avait colonisé les îles alentours avec une rapidité et une facilité déconcertante. Ce n'est pas moins de six autres cités qu'Erastide se devait à présent de gérer et sa tâche semblait ne plus en finir tant elle se renouvelait. Il n'y avait pourtant pas de quoi se plaindre : leur économie était florissante, leur diplomatie pacifique mais efficace, et grâce aux conseils d'Agésilas - que les citoyens se plaisaient à appeler Général - et d'Eleuthère - qui exigeait qu'on le nomme Amiral depuis qu'une cité portait son nom -, aucune menace sérieuse n'avait pesé sur ce qu'on pourrait presque désormais appeler un empire. Mais si cela convenait tout à fait au vieux guerrier qui y trouvait largement son compte, les jeunes gens, eux, y voyaient surtout le sacrifice de leur personne au quotidien... et Agésilas parcourait si souvent les mers pour aller d'une cité à une autre et organiser leur défense, qu'il n'avait toujours pas pu approcher Erastide sans chaperon pour lui parler d'autre chose que de comptabilité.
Et aujourd'hui encore la discussion était bien sérieuse et les visages des jeunes gens bien graves... L'intendante relatait les derniers faits :
- Des espions de l'[Alliance A] ont été pris à Sophithéa. Ils ont été renvoyés à leur mandataire, rasés et porteurs d'une missive, comme d'habitude, mais je crains que cette fois, cela ne suffise pas à décourager les nouvelles tentatives... La réponse n'est pas suffisamment ambiguë pour ne pas être claire : Sophithéa est pour eux une cible.
Agésilas ne cacha pas son manque d'enthousiasme.
- Ce sont eux qui ont rasé l'[Alliance B]... Ils sont en train de prendre possession des îles du Sud et si Adelphosunéa est peut-être encore trop peu développée pour les intéresser, quoique ce ne soit qu'une question de temps, qu'il se renseigne sur Sophithéa ne m'étonne pas vraiment. J'imagine que tôt ou tard, ils vont se frotter à l['alliance C] qui descend du Nord... et nous sommes juste entre les deux.
- Il fallait bien que cela arrive un jour à force de refuser toute invitation d'alliance... Nous avons déjà eu de la chance que ce jour arrive si tard.
Erastide regarda le jeune général avec un soupir résigné. Les 29 missives qui vantaient, avec plus ou moins de succès, les mérites de différentes alliances et tentaient de convaincre Galathéa de les rejoindre étaient encore empilées sur le bureau de la jeune femme. Mais aucune n'avait trouvé d'intérêt aux yeux du conseil et elle ne pouvait pas l'en blâmer : pourquoi abandonner son indépendance et son identité pour rejoindre des groupes inconnus (et souvent illettré) qui ne vous réclament qu'en vue de gonfler leur effectif et/ou leur puissance ? La voix grondante de son père vint tenter de remonter le moral des troupes :
- Et bien qu'à cela ne tienne ! Nos défenses ont besoin d'être éprouvées. Si le hérisson pique trop fort, le renard passe son chemin ! Et cela se passera bien, comme les autres...
Un éphèbe entra sans frapper et s'approcha pour chuchoter à Erastide, discrètement pensait-il, qu'un messager était arrivé. La contrariété du vieux marin, interrompu en pleine phrase et en plein élan, fut perceptible jusque dans ses moustaches à tel point que le garçon recula d'un pas quand il l'aperçut enfin.
- ... fois... Ma fille, il faudrait vraiment que tu abandonnes ses manies de paysans qui reçoivent dans un moulin !
- Oui père.
C'était la réponse la plus sobrement efficace qu'elle avait trouvé au fil du temps et Agésilas se détourna quelque peu pour éviter que le paternel ne surprenne son sourire fugace. Mais il ne fut pas fait plus grand cas que cela de la remontrance d'Eleuthère et déjà, sur un signe de tête de l'intendance, un héraut richement vêtu faisait son entrée dans le modeste bureau.
- Je me présente devant vous de la part de [Machin], dirigeant de l'[Alliance A].
Tous les sourires s'effacèrent de concert et un silence attentif accueillit cette nouvelle. Erastide encouragea l'homme à poursuivre, sans grande conviction toutefois, et celui-ci énonça le message de son souverain.
Le silence se prolongea plus lourdement encore. D'ailleurs, le fait qu'Eleuthère ne se fende pas de quelques mots confiants était particulièrement pesant. Le message sonnait comme un ultimatum quoique le ton restât poli et conciliant. L'intendante, d'une voix absente, remercia le héraut et lui promit une réponse rapide avant de le congédier aimablement, par habitude. Elle savait qu'elle n'avait pas à demander à ce qu'il soit bien traité, nourri ou logé : tout cela se ferait naturellement. Et ce fut finalement Agésilas qui commenta l'événement.
- Et bien je crois que nos défenses vont pouvoir être éprouvées autant que vous le souhaitiez, Amiral. Je m'en vais trouver le conseil pour convoquer une assemblée extraordinaire...
Quelques heures plus tard, en pleine nuit, la nouvelle avait déjà fait le tour de la ville. Forcément, les conseillers, qui hurlaient dans la salle où généralement ils s'endormaient paisiblement, avaient attiré les commères. Et au final, c'est toute la ville qui avait assisté au conseil et qui y participait malgré l'heure plus que tardive ! Et à la grande surprise d'Erastide d'ailleurs, la tendance générale était à la résistance active sans qu'aucune décision très précise ne soit arrêtée... Jusqu'au moment où un jeune soldat interpela Agésilas :
- Général ! Vous nous avez dit que Galathéa était la cité la mieux défendue de toute la Grèce et que personne ne pouvait la conquérir. S'ils veulent des combats, qu'ils viennent jusqu'ici et nous les attendrons de pied ferme !
- Bien sûr Epomène ! Mais nous n'allons tout de même pas les défier à prendre Galathéa plutôt qu'une autre cité, pour qu'ils nous laissent en paix.
- Et pourquoi pas ?
Surpris, Agésilas ne trouva pas immédiatement de réponse appropriée... et la rumeur enfla rapidement dans la foule : Oui ! Pourquoi pas ?! Le jeune général regarda l'intendante, déstabilisé. C'était une folie... Mais la jeune femme ne put que hausser les épaules, tout aussi démunie que lui.
Un sourire aux lèvres, Eleuthère s'approcha d'Agésilas et lui colla une tape formidable sur l'épaule :
- Et bien voilà une idée digne de toi mon garçon ! Ne prends pas cet air ahuri : il n'y a pas si longtemps, tu y aurais pensé tout à fait sérieusement et tu y aurais cru encore plus que ce soldat. C'est cela de montrer l'exemple ! Et franchement, je trouve que c'est une très bonne initiative.
Et face au regard ampli de doutes du jeune homme, le sourire d'Eleuthère devint carnassier. Il prit une profonde inspiration et sans crier gare, il s'adressa à l'assemblée d'une voix de stentor :
- CITOYENS ! Nous avons donc un choix, pour lequel nous devons voter : tenter encore et toujours de négocier et de résister mollement aux velléités de conquête des alliances qui nous entourent, ou les défier pour de bon et lutter pour notre indépendance, au risque de nous faire écraser, peut-être, mais avec honneur si c'est le cas ! Moi, je veux me battre ! Et vous ?
Et au grand désespoir d'Erastide, ce discours guerrier fut reçu par des acclamations...
Le vote n'avait pas mis bien longtemps à être organisé et la grande urne, qui ne servait pas bien souvent, avait été extirpé précipitamment de sa réserve pour être exposée aux premiers rayons du soleil sur l'Agora. Les petits cailloux blancs et noirs avaient été distribués à la va-vite et beaucoup s'étaient empressés d'exprimer leur préférence en glissant leur pierre dans l'amphore bombée. Le vote était théoriquement secret mais certains ne se privaient pas de faire dans la propagande, tel le vieux conseiller Nikoménas qui avait revêtu pour l'occasion sa tenue de combat et qui avait bien écarté les doigts au moment de faire disparaître son caillou d'ébène dans l'urne. Pour donner l'exemple, disait-il.
Blanc pour la paix, noir pour la guerre. Le ciel, lui, ne se prononçait pas : il était d'un gris uniforme, comme pour manifester son impartialité. Erastide peinait à comprendre comment la ville avait pu en arriver là et elle était déchirée entre une fierté incroyable, presque maternelle, pour son peuple qui s'affirmait ainsi, et une peur tout aussi incroyable de l'avenir, si la guerre l'emportait. Bien sûr, l'indépendance était primordiale et elle-même avait énormément œuvré pour elle, mais le prix probable, en vie humaine, n'était-il pas bien trop élevé pour être envisageable ? Et sans doute, le vote des femmes serait-il en ce sens : quelle mère accepterait de voir ses fils prendre de tels risques ? Même si, ça et là, ceux-ci s'acharnaient à les convaincre de leur offrir leur vote... Le décompte des pierres allait encore être un véritable casse-tête, surtout que tout ceci n'était pas très proprement organisé... Et en attendant, la jeune femme tripotait nerveusement les deux pierres entre ses doigts, indécise. Le dilemme était infernal. Et pourtant, elle devait voter.
Après une nuit de vieille pour toute la cité, l'astre solaire entamait résolument sa course diurne et la clepsydre qui limitait le temps de hésitation venait de finir de se vider. Avec un enthousiasme débordant, l'aîné des conseillers, toujours affublé de sa vieille armure d'un autre âge mais qui trouvait en ce jour une nouvelle jeunesse, vida publiquement l'urne sur la grande table de pierre de l'agora...
Pour Erastide, ce spectacle fut comme la foudre s'abattant sur un arbre. Elle était abasourdie. Toutes les pierres étaient noires, noires, et encore noires... En étalant le tas, par acquis de conscience, les vieilles mains fripées de Nikoménas exhumèrent toutefois deux malheureux cailloux blancs... mais pas un de plus. Au final, le décompte ne serait pas aussi difficile que prévu.
Agésilas s'approcha de l'intendance, discrètement, alors que les habitants de la ville exultait et il lui murmura :
- Nous avons voulu sauver des vies en votant pour la paix... Ils ont pris ça pour de la pitié mal placée, je crois.
Elle sourit un peu, tristement.
- Oui... Et en punition, ils n'ont pas pitié de nous : nous voilà en charge d'organiser une défense face à toute une alliance. Que les dieux nous gardent...
C'est donc ainsi que, sur l'agora de Galathéa, au premier jour de la semaine, en milieu de matinée et au cœur d'une foule fébrile, le messager de [Machin] reçut la réponse à transmettre à son souverain. Erastide, en essayant de ne pas avoir la voix qui tremble, la répéta plusieurs fois pour qu'il la mémorise sans problème et puisse la rapporter mot pour mot à ses maîtres :
[HRP : Le délai sera terminé samedi 5 juin à midi... Affaire à suivre !]
Le temps de l'innocence et de l'insouciance était passé. Le petit village de Galathéa était devenu une grande cité, et ses habitants une véritable nation qui avait colonisé les îles alentours avec une rapidité et une facilité déconcertante. Ce n'est pas moins de six autres cités qu'Erastide se devait à présent de gérer et sa tâche semblait ne plus en finir tant elle se renouvelait. Il n'y avait pourtant pas de quoi se plaindre : leur économie était florissante, leur diplomatie pacifique mais efficace, et grâce aux conseils d'Agésilas - que les citoyens se plaisaient à appeler Général - et d'Eleuthère - qui exigeait qu'on le nomme Amiral depuis qu'une cité portait son nom -, aucune menace sérieuse n'avait pesé sur ce qu'on pourrait presque désormais appeler un empire. Mais si cela convenait tout à fait au vieux guerrier qui y trouvait largement son compte, les jeunes gens, eux, y voyaient surtout le sacrifice de leur personne au quotidien... et Agésilas parcourait si souvent les mers pour aller d'une cité à une autre et organiser leur défense, qu'il n'avait toujours pas pu approcher Erastide sans chaperon pour lui parler d'autre chose que de comptabilité.
Et aujourd'hui encore la discussion était bien sérieuse et les visages des jeunes gens bien graves... L'intendante relatait les derniers faits :
- Des espions de l'[Alliance A] ont été pris à Sophithéa. Ils ont été renvoyés à leur mandataire, rasés et porteurs d'une missive, comme d'habitude, mais je crains que cette fois, cela ne suffise pas à décourager les nouvelles tentatives... La réponse n'est pas suffisamment ambiguë pour ne pas être claire : Sophithéa est pour eux une cible.
Agésilas ne cacha pas son manque d'enthousiasme.
- Ce sont eux qui ont rasé l'[Alliance B]... Ils sont en train de prendre possession des îles du Sud et si Adelphosunéa est peut-être encore trop peu développée pour les intéresser, quoique ce ne soit qu'une question de temps, qu'il se renseigne sur Sophithéa ne m'étonne pas vraiment. J'imagine que tôt ou tard, ils vont se frotter à l['alliance C] qui descend du Nord... et nous sommes juste entre les deux.
- Il fallait bien que cela arrive un jour à force de refuser toute invitation d'alliance... Nous avons déjà eu de la chance que ce jour arrive si tard.
Erastide regarda le jeune général avec un soupir résigné. Les 29 missives qui vantaient, avec plus ou moins de succès, les mérites de différentes alliances et tentaient de convaincre Galathéa de les rejoindre étaient encore empilées sur le bureau de la jeune femme. Mais aucune n'avait trouvé d'intérêt aux yeux du conseil et elle ne pouvait pas l'en blâmer : pourquoi abandonner son indépendance et son identité pour rejoindre des groupes inconnus (et souvent illettré) qui ne vous réclament qu'en vue de gonfler leur effectif et/ou leur puissance ? La voix grondante de son père vint tenter de remonter le moral des troupes :
- Et bien qu'à cela ne tienne ! Nos défenses ont besoin d'être éprouvées. Si le hérisson pique trop fort, le renard passe son chemin ! Et cela se passera bien, comme les autres...
Un éphèbe entra sans frapper et s'approcha pour chuchoter à Erastide, discrètement pensait-il, qu'un messager était arrivé. La contrariété du vieux marin, interrompu en pleine phrase et en plein élan, fut perceptible jusque dans ses moustaches à tel point que le garçon recula d'un pas quand il l'aperçut enfin.
- ... fois... Ma fille, il faudrait vraiment que tu abandonnes ses manies de paysans qui reçoivent dans un moulin !
- Oui père.
C'était la réponse la plus sobrement efficace qu'elle avait trouvé au fil du temps et Agésilas se détourna quelque peu pour éviter que le paternel ne surprenne son sourire fugace. Mais il ne fut pas fait plus grand cas que cela de la remontrance d'Eleuthère et déjà, sur un signe de tête de l'intendance, un héraut richement vêtu faisait son entrée dans le modeste bureau.
- Je me présente devant vous de la part de [Machin], dirigeant de l'[Alliance A].
Tous les sourires s'effacèrent de concert et un silence attentif accueillit cette nouvelle. Erastide encouragea l'homme à poursuivre, sans grande conviction toutefois, et celui-ci énonça le message de son souverain.
Le silence se prolongea plus lourdement encore. D'ailleurs, le fait qu'Eleuthère ne se fende pas de quelques mots confiants était particulièrement pesant. Le message sonnait comme un ultimatum quoique le ton restât poli et conciliant. L'intendante, d'une voix absente, remercia le héraut et lui promit une réponse rapide avant de le congédier aimablement, par habitude. Elle savait qu'elle n'avait pas à demander à ce qu'il soit bien traité, nourri ou logé : tout cela se ferait naturellement. Et ce fut finalement Agésilas qui commenta l'événement.
- Et bien je crois que nos défenses vont pouvoir être éprouvées autant que vous le souhaitiez, Amiral. Je m'en vais trouver le conseil pour convoquer une assemblée extraordinaire...
Quelques heures plus tard, en pleine nuit, la nouvelle avait déjà fait le tour de la ville. Forcément, les conseillers, qui hurlaient dans la salle où généralement ils s'endormaient paisiblement, avaient attiré les commères. Et au final, c'est toute la ville qui avait assisté au conseil et qui y participait malgré l'heure plus que tardive ! Et à la grande surprise d'Erastide d'ailleurs, la tendance générale était à la résistance active sans qu'aucune décision très précise ne soit arrêtée... Jusqu'au moment où un jeune soldat interpela Agésilas :
- Général ! Vous nous avez dit que Galathéa était la cité la mieux défendue de toute la Grèce et que personne ne pouvait la conquérir. S'ils veulent des combats, qu'ils viennent jusqu'ici et nous les attendrons de pied ferme !
- Bien sûr Epomène ! Mais nous n'allons tout de même pas les défier à prendre Galathéa plutôt qu'une autre cité, pour qu'ils nous laissent en paix.
- Et pourquoi pas ?
Surpris, Agésilas ne trouva pas immédiatement de réponse appropriée... et la rumeur enfla rapidement dans la foule : Oui ! Pourquoi pas ?! Le jeune général regarda l'intendante, déstabilisé. C'était une folie... Mais la jeune femme ne put que hausser les épaules, tout aussi démunie que lui.
Un sourire aux lèvres, Eleuthère s'approcha d'Agésilas et lui colla une tape formidable sur l'épaule :
- Et bien voilà une idée digne de toi mon garçon ! Ne prends pas cet air ahuri : il n'y a pas si longtemps, tu y aurais pensé tout à fait sérieusement et tu y aurais cru encore plus que ce soldat. C'est cela de montrer l'exemple ! Et franchement, je trouve que c'est une très bonne initiative.
Et face au regard ampli de doutes du jeune homme, le sourire d'Eleuthère devint carnassier. Il prit une profonde inspiration et sans crier gare, il s'adressa à l'assemblée d'une voix de stentor :
- CITOYENS ! Nous avons donc un choix, pour lequel nous devons voter : tenter encore et toujours de négocier et de résister mollement aux velléités de conquête des alliances qui nous entourent, ou les défier pour de bon et lutter pour notre indépendance, au risque de nous faire écraser, peut-être, mais avec honneur si c'est le cas ! Moi, je veux me battre ! Et vous ?
Et au grand désespoir d'Erastide, ce discours guerrier fut reçu par des acclamations...
Le vote n'avait pas mis bien longtemps à être organisé et la grande urne, qui ne servait pas bien souvent, avait été extirpé précipitamment de sa réserve pour être exposée aux premiers rayons du soleil sur l'Agora. Les petits cailloux blancs et noirs avaient été distribués à la va-vite et beaucoup s'étaient empressés d'exprimer leur préférence en glissant leur pierre dans l'amphore bombée. Le vote était théoriquement secret mais certains ne se privaient pas de faire dans la propagande, tel le vieux conseiller Nikoménas qui avait revêtu pour l'occasion sa tenue de combat et qui avait bien écarté les doigts au moment de faire disparaître son caillou d'ébène dans l'urne. Pour donner l'exemple, disait-il.
Blanc pour la paix, noir pour la guerre. Le ciel, lui, ne se prononçait pas : il était d'un gris uniforme, comme pour manifester son impartialité. Erastide peinait à comprendre comment la ville avait pu en arriver là et elle était déchirée entre une fierté incroyable, presque maternelle, pour son peuple qui s'affirmait ainsi, et une peur tout aussi incroyable de l'avenir, si la guerre l'emportait. Bien sûr, l'indépendance était primordiale et elle-même avait énormément œuvré pour elle, mais le prix probable, en vie humaine, n'était-il pas bien trop élevé pour être envisageable ? Et sans doute, le vote des femmes serait-il en ce sens : quelle mère accepterait de voir ses fils prendre de tels risques ? Même si, ça et là, ceux-ci s'acharnaient à les convaincre de leur offrir leur vote... Le décompte des pierres allait encore être un véritable casse-tête, surtout que tout ceci n'était pas très proprement organisé... Et en attendant, la jeune femme tripotait nerveusement les deux pierres entre ses doigts, indécise. Le dilemme était infernal. Et pourtant, elle devait voter.
Après une nuit de vieille pour toute la cité, l'astre solaire entamait résolument sa course diurne et la clepsydre qui limitait le temps de hésitation venait de finir de se vider. Avec un enthousiasme débordant, l'aîné des conseillers, toujours affublé de sa vieille armure d'un autre âge mais qui trouvait en ce jour une nouvelle jeunesse, vida publiquement l'urne sur la grande table de pierre de l'agora...
Pour Erastide, ce spectacle fut comme la foudre s'abattant sur un arbre. Elle était abasourdie. Toutes les pierres étaient noires, noires, et encore noires... En étalant le tas, par acquis de conscience, les vieilles mains fripées de Nikoménas exhumèrent toutefois deux malheureux cailloux blancs... mais pas un de plus. Au final, le décompte ne serait pas aussi difficile que prévu.
Agésilas s'approcha de l'intendance, discrètement, alors que les habitants de la ville exultait et il lui murmura :
- Nous avons voulu sauver des vies en votant pour la paix... Ils ont pris ça pour de la pitié mal placée, je crois.
Elle sourit un peu, tristement.
- Oui... Et en punition, ils n'ont pas pitié de nous : nous voilà en charge d'organiser une défense face à toute une alliance. Que les dieux nous gardent...
C'est donc ainsi que, sur l'agora de Galathéa, au premier jour de la semaine, en milieu de matinée et au cœur d'une foule fébrile, le messager de [Machin] reçut la réponse à transmettre à son souverain. Erastide, en essayant de ne pas avoir la voix qui tremble, la répéta plusieurs fois pour qu'il la mémorise sans problème et puisse la rapporter mot pour mot à ses maîtres :
[HRP : Le délai sera terminé samedi 5 juin à midi... Affaire à suivre !]
